jeudi 19 janvier 2012

Séjour en Nouvelle-France (deuxième partie)

Dans le but d’alléger le texte, les documents sources n’y sont identifiés que par la première lettre du nom de l’auteur, alors que la référence complète est donnée à la fin de la chronique.

Mission accomplie: la paix règne

Colbert en 1666 (Wikipedia)
Peu de temps après le retour des troupes des deux expéditions dont il fut mention dans la chronique précédente, les officiers supérieurs étaient bien conscients que la troupe serait rappelée sous peu en France. En effet, dès le mois de novembre 1666, autant l’Intendant Talon que le Gouverneur Courcelles font pression auprès des soldats pour qu’ils demeurent en Nouvelle-France. On offre même une prime de 100 livres aux soldats qui décideraient de s’établir dans la colonie (L2).

C’est en juillet 1667 que la paix fut enfin établie avec la nation Iroquoise et ce, à la demande même des tribus Agniers et Onneyouts qui, en signe de bonne foi, libèrent les otages qu’ils avaient capturés. (L1) La colonie jouira alors d’une paix relativement stable qui durera 17 ans. Cette paix sera finalement rompue par le comportement des gouverneurs subséquents, avides de faire fortune en Nouvelle-France. 

Sept mois plus tard, le 20 février 1668, « le roi ordonne le retour du régiment Carignan en France. Il laissera cependant quatre compagnies qui serviront à la défense de la colonie » (A). Ce sera finalement le 14 octobre 1668 que les bateaux transportant les soldats vogueront vers la mère-patrie (L2)
On estime que 762 soldats se sont établis en Nouvelle-France, entre 1668 et 1671, soit 20 % de la population (L1), ce qui a eu comme résultat d’amplifier un problème grave: le manque de filles à marier, tel que le confirment les données du recensement de 1666.

Ainsi, pour 719 célibataires masculins âgés de 16 à 40 ans, il n’y avait que 45 filles célibataires du même âge. Alors si on ajoute quelque 760 militaires tous célibataires, le problème devient difficilement tolérable…


Qu’en est-il du soldat Siméon Leroy dit Haudry…

Siméon haudry de son nom de guerre décide de rester
Comme on le sait, Siméon a décidé de rester en Nouvelle-France. Un document provenant du « Fonds des Colonies » et déposé à Bibliothèque et Archives Canada (B1)nous le confirme de façon on ne peut plus explicite. L’intitulé de ce document se lit comme suit: « Rolle des soldats du Régiment de Carignan-Salière qui se sont faits habitans de Canada en 1668 ». Pour chacune des compagnies du régiment Carignan-Salière, de même que des quatre compagnies du Sieur de Berthier, on y retrouve la liste des noms de soldats qui ont décidé de s’établir en Nouvelle-France plutôt que de retourner outre-Atlantique.


Les filles du Roy

En 1661, le roi Louis XIV décide d’assurer lui-même la gestion de la Nouvelle-France et en fait une province de France à part entière. Conséquemment, on assiste à la disparition des « Compagnies » dont le rôle était de peupler la colonie en échange du monopole du commerce de la fourrure, mais le commerce de la fourrure avait toujours eu priorité sur le peuplement.
 
Parmi la population déjà peu nombreuse, le nombre de filles à marier était restreint et loin d’être suffisant pour permettre aux célibataires de trouver une épouse. Avec l’ajout des soldats ayant décidé de rester en Nouvelle-France, le problème n’en est devenu que plus épineux. 

Une solution, qui fut envisagée mais qui ne fut pas retenue, était de laisser les Français de la Nouvelle-France contracter mariage avec des filles autochtones. C’est ainsi que Louis XIV, devenu gestionnaire de La Nouvelle-France, décida plutôt de favoriser l’immigration des filles du roy.

Le premier contingent de filles du roy arriva en Nouvelle-France en 1663 et le dernier en 1674. Le nombre total de filles du roy qui firent la traversée vers la Nouvelle-France est estimé à 774 filles. Dix ans plus tard, elles avaient fait tripler la population. (L2)

La Salpètrière aujourd'hui (Wikipedia)
Le trésor royal, i.e. le roy, s’engageait à contribuer aux frais de voyage et d’établissement en Nouvelle-France des filles du roy. D’autre part, ce sont des embaucheurs, des armateurs et des marchands qui avaient pour tâche de les recruter. Beaucoup d’entre elles provenaient de « La Salpêtrière », un hôpital de Paris, qui accueillait entre autres des orphelines à qui on montrait « à lire, à tricoter, à faire de la lingerie, de la broderie et de la dentelle. Les filles recevaient également un solide enseignement religieux » (D). Une part importante des filles du roy qui arrivèrent en Nouvelle-France provenaient de la Salpêtrière.

Une fois recrutées, les filles étaient dirigées vers un port de mer, Dieppe ou La Rochelle, d’où elles s’embarquaient dans un navire à destination de la Nouvelle-France. Chaque contingent de filles était sous la direction d’une femme chargée d’appliquer une discipline rigoureuse pendant une traversée qui durait de deux à trois mois, dans des vaisseaux peu confortables et en contact avec divers passagers dont des matelots, des engagés ou des soldats. À leur arrivée à Québec, les filles étaient placées chez des familles respectables, aux frais du trésor royal, jusqu’à ce qu’elles trouvent mari.


Le contingent de 1668

Une flûte (Wikipedia)
C’est à bord du « Nouvelle France » que 75 filles du roy firent la traversée pour débarquer à Québec en juillet 1668. Le Nouvelle France était un vaisseau de 250 tonneaux, probablement une flûte (B).

L’âge moyen de ces 75 filles était de 22,2 ans, la plus jeune était âgée de 12 ans, alors que l’aînée avait 39 ans. La majorité des filles, soit 42, étaient âgées entre 16 et 24 ans. Vingt-cinq d’entre elles originaient de la province de l’Île-de-France où était située la Salpêtrière et treize de la Normandie. La majorité (44 sur 75) étaient orphelines de père ou de mère, ou des deux. (Compilation des données de D)

C’était le cas entre autres des sœurs Deschalets, Claude, Madeleine et Élisabeth, toutes trois orphelines de père et de mère et ayant séjourné, selon toute vraisemblance, à la Salpêtrière. Ces femmes joueront un rôle important dans la vie de Siméon. Il épousera Claude alors que Madeleine et son mari deviendront les tuteurs de l’un des fils de Siméon, de qui descendront tous les Audy du Québec.


Des filles convoîtées

Dès leur arrivée à Québec, la plupart des filles du roy trouvèrent à se marier dans les mois qui ont suivi. Ainsi, en 1668, cinq mois après leur arrivée, 61 filles avaient déjà trouvé à se marier, alors que 10 autres se marièrent en 1669. 

La consultation des registres de l’année 1668 de la paroisse Notre-Dame de Québec nous fournissent des informations intéressantes sur trois mariages. 

Ce fut tout d’abord le mariage, le 27 août 1668, d’un certain Michel Riffaut avec Françoise Leclerc, une fille du roy.

Le 3 septembre 1668, les cloches de l’église Notre-Dame de Québec ont sonné à deux reprises, puisque Henri de Bernières, prêtre officiant y a alors célébré deux mariages, l’un à la suite de l’autre.


D’abord, Siméon Leroy, agé de 31 ans, épousa Claude Deschalets, agée de 23 ans. Finalement, les cloches sonnèrent une troisième fois pour le mariage de la sœur de Claude, Madeleine, 21 ans, qui épousa Jean Giron, un tailleurs d’habit, déjà présent en Nouvelle-France d’après le recensement de 1666 (L3). 
Plusieurs faits intéressants se dégagent de ces trois mariages. Tout d’abord, on a la confirmation dans les actes que les sœurs Deschalets étaient effectivement orphelines de père et de mère. D’autre part, dans le cas des deux sœurs Deschalets, elles ont toutes deux bénéficié d’une dispense de publication de deux des trois bans habituels (La publication des bans habituellement faite du haut de la chaire à l’église pendant trois dimanches d’affilée est une procédure ayant pour utilité de rendre publique l'imminence d'un mariage, et ainsi de veiller à ce que personne ne s’y oppose.). 

Finalement, les noms des témoins à ces mariages sont également intéressants à plusieurs points de vue. Ainsi, au premier mariage de la matinée, soit celui de Michel Riffaud et de Françoise Leclerc, on retrouve comme témoins les futurs mariés des deux prochains mariages, à savoir, Siméon et Jean Giron. Les témoins au mariage de Siméon furent le nouveau marié Michel Riffaut et un certain Pierre Chamarre qui avait épousé en 1665 une fille du roi, Florimonde Rableau et qui demeurait à Notre-Dame des Anges. On retrouvera le même Pierre Chamarre comme l’un des témoins au mariage de Madeleine et de Jean Giron. Ces personnes joueront, comme nous le verrons plus tard des rôles importants dans l’histoire de Siméon.

Siméon et son beau-frère Jean Giron se retrouveront de nouveau à l’église Notre-Dame de Québec, deux mois plus tard, le 26 novembre 1668, cette fois comme témoins au mariage de leur belle-sœur, Élisabeth qui épousera François Paris.

Annexe 1 Mariage de Siméon Le roy et de Claude des Chalets


     Le troisiesme jour du mois de septembre de l’an gbj (16--) soixante huit 
     Après les fiançailles et la publication d’un ban de Mariage d’entre
     Simeon le Roy, fils de Richard le Roy et de Gilette Jacquet
     ses père et Mere de la Paroisse de Créance Evesché de Cavances
     en Normandie d’une part; Et Claude des Chalets fille de deffunts
     françois d’Eschalets et de Jacquette Chevallereau ses pere et Mere
     dela paroisse de Nostre Dame defontenay leCompte Evesché de
     Mailzais d’autre part; Monseigre L’Esvesque leur ayant donné
     dispense de deux bans, et ne s’estant découvert aucun empeschement 
     legitime, Je Sousigné Curé de cette Paroisse les ay mariés et leur
     ay donné la Bénediction Nuptiale selon la forme prescrite par
     la Ste Eglise, en presence des tesmoins connus, Pierre Chamar
     Michel Riffaut, François Charlet &ce 
                                          H. DeBernieres.

Références

Archives Nationales du Canada, 1994. Guide Thématique des Sources Manuscrites aux Archives nationales du Canada ayant trait au régiment de Carignan-Salières. Lettre du ministre Colbert à Talon. Page 22. Disponible à http://data2.archives.ca/pdf/pdf001/p000000501.pdf  (A).

Bibliothèque et Archives Canada, Fonds des Colonies, Rôle des soldats du régiment Carignan-Salières qui se sont faits habitants de Canada en 1668. Microfilm de l’original, bobine no. F-582, Cote MG1-D2C. (B1)

Bosher, J.F., 1992. Négociants et Navires du commerce avec le Canada, Environnement Canada, Service des Parcs. Disponible à http://www.ourroots.ca/f/toc.aspx?id=4750 (B2)

Dumas, Silvio, 1972. Les filles du roi en Nouvelle-France – Étude historique avec répertoire biographique. Cahiers d’Histoire No 24. La Société Historique de Québec. (D).

Lacoursière, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, 1969. Canada - Québec - Synthèse historique. Éditions du Renouveau Pédagogique Inc., Montréal. (L1)

Lacoursière, Jacques, 1995. Histoire populaire du Québec – Des origines à 1791. Édition du Septentrion, Sillery. (L2)

Lafontaine, André, 1985. Recensements annotés de la Nouvelle-France 1666 & 1667. Sherbrooke, 1985, 415 p. (L3)


2 commentaires:

  1. Adresse mise dans mes marque-pages ;)
    Marie xoxo

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  2. Thank you for compiling this information. I am a descendant of Simeon and Claude through their daughter Jeanne.

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