lundi 31 octobre 2011

De la France à la Nouvelle-France... (deuxième partie)

Préambule

Comme on le verra dans cette chronique et dans les autres qui suivront, j’ai pu retracer tout le périple de Siméon dès que j’ai réussi à trouver un document dans lequel est précisé le métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France. Ce document a donc été un véritable fil d’Ariane.

Le second métier de Siméon

C’est lors de la lecture de jugements de la prévôté de Québec (selon Wikipedia, la prévôté était le premier degré de la justice royale) que l’on peut trouver la réponse. En effet,  un document qui date du 28 janvier 1668, nous précise  explicitement  la métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France.

Voir annexe 1 pour le libellé. (L'original est de qualité marginale).
 Ce dernier a été appelé à comparaître comme témoin dans un procès pour voies de fait. Le greffier, dans le procès verbal a alors identifié Siméon comme suit : « Simon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier… » . Au XVIe siècle comme maintenant d’ailleurs, « cy devant »  signifie « antérieurement, auparavant, précédemment ».

Ce document nous apprend deux choses fort importantes : 1) avant le 28 janvier 1668, Siméon était soldat, 2) il a fait partie de la compagnie du Sieur de Berthier. 

C’est à partir de ces deux faits que j’ai pu lever le voile sur les péripéties de Siméon. En effet, reconstituer les déplacements d’un simple soldat est une tâche quasi impossible. Par contre, retrouver la trace des déplacements d’un officier, en cette occurrence, le Sieur de Berthier et de sa compagnie de soldats dont Siméon faisait partie s’avère une opération quelque peu simplifiée. En d’autres mots, où se trouvent le Sieur de Berthier et sa compagnie de soldats, se trouve Siméon.

Michel Langlois, dans l’excellent ouvrage qu’il a publié en 2004, ouvrage intitulé « Carignan-Salières », tente d’identifier les soldats appartenant à ce régiment. Le statut de Siméon, comme soldat, y est explicitement mentionné (voir annexe 2), ce qui vient corroborer le contenu du procès-verbal du 28 janvier 1668.

La situation en France en 1660 - 1670 

Pour bien comprendre et apprécier le périple de Siméon, je crois opportun  d’évoquer trois des nombreux problèmes auxquels Louis XIV, le roi de France, a été confronté au cours de la période 1660 - 1670 :

1- la réforme protestante

Jean Calvin
C’est au milieu du XVIème siècle que le théologien français Jean Calvin a attaqué de front les fondements même de la religion catholique, ce qui en a fait l’un des principaux artisans de la réforme protestante en  France. Cette réforme ne s’est pas faite sans heurts. En effet, le massacre de la Saint-Barthélemy au cours duquel les catholiques ont massacré les protestants en témoigne éloquemment. Déclenché à Paris, le 24 août 1572, il s’est prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis s’est étendu à plus d'une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes.  Le nombre de morts fut estimé à 3 000 à Paris, et de 5 000 à 10 000 ailleurs en France, près de 30 000 protestants français aussi appelés huguenots furent ainsi massacrés. De nombreux huguenots, dont on évalue le nombre à plus de 200 000 ont alors fui la France pour trouver refuge notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Afrique du Sud et en ce qui sera les États-Unis.

En 1658, l’édit de Nantes met temporairement fin aux hostilités en reconnaissant la liberté de culte aux huguenots. Cependant, à partir de 1660, Louis XIV applique une politique ferme de conversion des huguenots au catholicisme. Au fil des mois et des années, cette politique se fera de plus en plus pressante. Aussi, l’émigration est-elle fortement encouragée, notamment via le recrutement de soldats pour service outre-mer. C’est sans doute dans ce contexte que Siméon s’est engagé comme soldat. L’édit de Nantes a définitivement été révoqué en 1685. 

2- les guerres avec les Iroquois

D’autre part, le commerce des fourrures a toujours été une entreprise fort lucrative autant pour la couronne de France, que pour ses représentants en Nouvelle-France. Par contre, les Anglais et surtout les Hollandais installés le long de la rivière Hudson, dans le futur état de New York, sont également fortement intéressés par le profitable commerce de la fourrure. Les Iroquois s’interposent en intermédiaires  entre les tribus de l’intérieur du continent et les Européens. Ils approvisionnent en fourrures les Hollandais déjà établis à Fort Orange (Albany aujourd'hui) lesquels troquent des armes à feu pour des peaux de castor. La situation se détériore au point où les Iroquois entrent en guerre ouverte contre les Français. Louis XIV réagit en 1665 en envoyant le régiment Carignan-Salières en Nouvelle-France pour pacifier ces indiens «en les humiliant» (Lacoursière et autres, 1969). 

3- les Anglais et les Hollandais dans l’hémisphère Sud

Les Guyanes
Finalement, le dernier problème, et non pas le moindre, auquel est confronté Louis XIV est relié à la présence des Hollandais et des Anglais dans ses colonies, situées dans ce qui deviendra l’Amérique du Sud, les uns ayant envahi la Guyane française et les autres s’appropriant les colonies françaises de la Martinique et de la Guadeloupe. Louis XIV enverra quatre compagnies de soldats pour régler la situation. Ces compagnies étaient sous le commandement du sieur de Tracy et l’une d’elles était la compagnie du Sieur de Berthier. 

Selon Langlois, « ces compagnies ne faisaient pas et ne firent jamais partie du régiment de Carignan-Salières ». Toutes les compagnies du régiment Carignan-Salières partirent de France pour arriver directement en Nouvelle-France, ce qui n’a pas été le cas des quatre compagnies mentionnées au paragraphe précédent.

De la France à la Nouvelle-France, en passant par…

…La Rochelle en 1664 - un départ impressionnant

C’est donc à l’âge de 27 ans que l’on retrouve trace de Siméon. Au début de 1664, Siméon se trouve à La Rochelle, l’ancien château fort des huguenots où plus de 20 000 d’entre eux ont trouvé la mort lors du siège de 1627 entrepris par le cardinal Richelieu.

Siméon s’apprête à entreprendre un long périple qui le conduira loin, très loin de son pays natal.

Le port de La Rochelle
Le 26 février 1664, un vaisseau de guerre, un magnifique trois mats de 800 tonnes, tout neuf, armé de 60 canons et commandé par Monsieur Alexandre de Prouville, « marquis de Tracy conseiller du roi et commandant en chef des troupes de la Nouvelle-France », appareille du port de La Rochelle. À bord, quatre compagnies de soldats dont celle du Sieur de Berthier. Le soldat Siméon Leroy dit le Haudy fait donc partie de l’expédition. Ce vaisseau, c’était le Brézé (Le Chaînon, 2005).

Le Brézé est accompagné du Teron, un autre vaisseau de guerre, plus petit cependant, et de plusieurs autres vaisseaux bien équipés de provisions et de munitions (Migrations, 2006). 

Annexe 1 - Extrait du registre de la Prévôté de Québec du 28 janvier 1668 (Source : Bibliothèque et Archives Nationale du Québec, Microfilm M48/1)

«…La plainte dudit Forget du sixiesme du present mois, les depositions de Simeon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier, Michel Risfault habitant de la petite Auvergne, Pierre Guillebault dit Le Saint Pierre…»

Annexe 2 - Les compagnies venues avec  le Sieur de Tracy1

Du Régiment de L’Allier (Compagnie cantonnée à Québec)

Capitaine :     Berthier, Alexandre
Lieutenant :    Lebassier de Vilieu, Claude-Sébastien
                           Margane de Lavaltrie, Séraphin
Enseigne :      Lauxain, Pierre de Caviteau
                          Taboureau de Vérone, Prudent-Akexandre
                          Lafons (de), Rolland

                      Bazain, François dit Laroche
                      Edmé, Moyse sieur Desprises
                      Blanchon, Étienne
                      Bellisle                                           = Fournel, Jacques
                      Champagne
                      Haudry Hardy                              = Leroy Simon dit Le Hardy
                      Jolicoeur
                      Lafleur                                          = Pleau, Simon
                      Lagacé                                          = Mignier, André
                      Lafontaine
                      Lamontagne                                  = Martel, Honoré
                      Lapensée                                       = Brin, Jacques
                      Laprairie                                       = Rousselot, Nicolas
                      Larose                                            =  Arnaud, Antoine
                      Lavaux
                      Laverdure
                      Laviolette                                      = Bétourné, Adrien
                      Lecatalan
                      Lejeune La Violette
                      Petitbois                                        = Gauron, Michel
                      Sanssoucy                                   = Bureau,Louis

1- selon le document de Michel Langlois (2004).

Documents cités :
Dictionnaire Biographique du Canada en ligne.
Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html

Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La Maison des Ancêtres inc., Drummondville. pp 515 et sq.

Lacoursière, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, 1969. Canada - Québec - Synthèse historique. Éditions du Renouveau Pédagogique Inc.

Le Chaînon, 2005. Société Franco-Ontarienne d’histoire et de généalogie. Vol. 23 No 2.

Migrations, 2006. Voir : http://www.migrations.fr/

voir aussi :
Roy, Régis et Gérard Malchelosse, 1925. Le régiment de Carignan, son organisation et son expédition au Canada. Officiers et soldats qui s’établirent en Canada, 1665-1668. Montréal.

Sulte, Benjamin, 1922. Le régiment de Carignan. Mélanges historiques. Volume 8. Études éparses et inédites de Benjamin Sulte, compilées, annotées et publiées par Gérard Malchelosse, publié chez G. Ducharme, Montréal.

dimanche 23 octobre 2011

De la France, à la Nouvelle France… (première partie)

En ce premier jour d’octobre 1637, les cloches de l’Église Sainte-Trinité de Créances, en Normandie, ont probablement sonné pour annoncer le baptême de «symeon le roy», fils de «richard le roy», tel qu’il appert à son acte de baptême qui a été transcrit par Archange Godbout, le fondateur de la Société de Généalogie Canadienne Française de Montréal. Il est probable que l’original ait été détruit pendant la seconde guerre mondiale.

Acte de baptême de Siméon Leroy

C’est ainsi que débute l’histoire mouvementée et ponctuée de plusieurs rebondissements de mon ancêtre Siméon LeRoy-Audy.




Tout d’abord, l’origine du patronyme

Du temps des gaulois, on exploitait des salines dans la région de Créance. En ce temps, le sel valait son pesant d’or. Alors, on recueillait l’eau de mer et on la faisait bouillir pour en tirer le sel qu’elle contenait. Cette façon de faire exigeait des quantités prodigieuses de bois. Arriva ce qui devait arriver, cette ressource fut épuisée et, par le fait même, on avait défriché la région. Tout naturellement, on se tourna alors vers l’agriculture et, plus particulièrement, vers la culture maraîchère qui fait d’ailleurs toujours la renommée de cette région.

Un problème cependant… En effet, la région de Créances est un «plat pays», particulièrement en bord de mer. Or, si on veut cultiver des légumes en ces terres, il faut les protéger de l’invasion par l’eau de mer, deux fois par jour lors des marées hautes, mais aussi, il faut tenir compte des hautes marées d’équinoxe, au printemps et à l’automne.

Fonctionnement d'un aboiteau
Pour ce faire, les gens de Créances ont fait comme partout dans le monde pour récupérer à des fins agricoles, des terrains en bord de mer : ils ont bâti une digue, une levée de terre et ont installé des aboiteaux, ces structures de bois qui empêchent l’eau de mer de pénétrer à l’intérieur de la digue lors des hautes marées mais qui laissent écouler les eaux de pluie et de ruissellement lors des basses marées. Dans l’ancienne langue scandinave, on désigne ces digues par diki, dy ou dics (au pluriel). Partout dans la région de Créances et pas seulement dans la région immédiate, on utilise encore ce(s) mot(s) pour désigner ces levées de terre, ces digues.

Pour construire et entretenir ces aboiteaux, il faut des menuisiers. Or, l’abbé C. Tanguay dans son «Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jour» mentionne que Siméon était menuisier.

D’autre part, comme on le verra plus loin, nous sommes en mesure de démontrer que Siméon était soldat lorsqu’il a quitté la France.

Ainsi, le site Internet Historia mentionne : « Lorsqu'un soldat entre dans l'armée française, on lui attribue un surnom ou nom de guerre, par exemple Philibert Couillaud dit Roquebrune... Ce surnom prend un caractère officiel. Il devient l’équivalent du numéro matricule. Les soldats sont reconnus par leurs noms, prénoms et noms de guerre ».

Le nom de guerre était attribué lors de l’enrôlement du soldat. Comme déjà mentionné, Siméon était originaire de Créances. Or, il existe tout près de Créances un hameau qui se nomme encore aujourd’hui Haut Dye.
Le Haut Dye de Créances est un hameau de quelques habitations situé en bord de mer et, qui plus est, la rue y conduisant s’appelle la rue Haut Dy. Le site Internet de Mapquest-France permet de localiser la rue Haut Dy à Créances.

Appelé à se choisir un nom de guerre, il est tout à fait plausible que Siméon ait simplement utilisé son lieu d’origine comme nom de guerre : Siméon Leroy de Haut Dy. D’autre part, Siméon LeRoy de Haut Dy est phonétiquement près de Siméon LeRoy dit Audy.

Au XVIIe siècle, l’orthographe des mots était fort variable. Ainsi, dans un contrat rédigé par le notaire royal Gilles Rageot, le nom de Siméon y est mentionné à six reprises et  les différentes graphies de son nom sont alors les suivantes : Simon LeRoy dit Le Haudy, LeRoy dit Audy, Simon Le Roy dit Audy, Audit et Simon Le Roy (à deux reprises).

Transcription de l’acte de baptême :

                                                      Le premier jour d’octobre mil
                                                      six cents trente sept fut baptizé
                                                      ung filz pour richard le roy
                                                      nome symeon par francois
                                                      gallens et y etaient prntz Jacques leroy
                                                      et Jean lenoir fils de marin et autres
Pour en savoir plus:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Aboiteau