Comme on le verra dans cette chronique et dans les autres qui suivront, j’ai pu retracer tout le périple de Siméon dès que j’ai réussi à trouver un document dans lequel est précisé le métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France. Ce document a donc été un véritable fil d’Ariane.
Le second métier de Siméon
C’est lors de la lecture de jugements de la prévôté de Québec (selon Wikipedia, la prévôté était le premier degré de la justice royale) que l’on peut trouver la réponse. En effet, un document qui date du 28 janvier 1668, nous précise explicitement la métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France.
Voir annexe 1 pour le libellé. (L'original est de qualité marginale). |
Ce dernier a été appelé à comparaître comme témoin dans un procès pour voies de fait. Le greffier, dans le procès verbal a alors identifié Siméon comme suit : « Simon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier… » . Au XVIe siècle comme maintenant d’ailleurs, « cy devant » signifie « antérieurement, auparavant, précédemment ».
Ce document nous apprend deux choses fort importantes : 1) avant le 28 janvier 1668, Siméon était soldat, 2) il a fait partie de la compagnie du Sieur de Berthier.
C’est à partir de ces deux faits que j’ai pu lever le voile sur les péripéties de Siméon. En effet, reconstituer les déplacements d’un simple soldat est une tâche quasi impossible. Par contre, retrouver la trace des déplacements d’un officier, en cette occurrence, le Sieur de Berthier et de sa compagnie de soldats dont Siméon faisait partie s’avère une opération quelque peu simplifiée. En d’autres mots, où se trouvent le Sieur de Berthier et sa compagnie de soldats, se trouve Siméon.
Michel Langlois, dans l’excellent ouvrage qu’il a publié en 2004, ouvrage intitulé « Carignan-Salières », tente d’identifier les soldats appartenant à ce régiment. Le statut de Siméon, comme soldat, y est explicitement mentionné (voir annexe 2), ce qui vient corroborer le contenu du procès-verbal du 28 janvier 1668.
La situation en France en 1660 - 1670
Pour bien comprendre et apprécier le périple de Siméon, je crois opportun d’évoquer trois des nombreux problèmes auxquels Louis XIV, le roi de France, a été confronté au cours de la période 1660 - 1670 :
1- la réforme protestante
Jean Calvin |
C’est au milieu du XVIème siècle que le théologien français Jean Calvin a attaqué de front les fondements même de la religion catholique, ce qui en a fait l’un des principaux artisans de la réforme protestante en France. Cette réforme ne s’est pas faite sans heurts. En effet, le massacre de la Saint-Barthélemy au cours duquel les catholiques ont massacré les protestants en témoigne éloquemment. Déclenché à Paris, le 24 août 1572, il s’est prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis s’est étendu à plus d'une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes. Le nombre de morts fut estimé à 3 000 à Paris, et de 5 000 à 10 000 ailleurs en France, près de 30 000 protestants français aussi appelés huguenots furent ainsi massacrés. De nombreux huguenots, dont on évalue le nombre à plus de 200 000 ont alors fui la France pour trouver refuge notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Afrique du Sud et en ce qui sera les États-Unis.
En 1658, l’édit de Nantes met temporairement fin aux hostilités en reconnaissant la liberté de culte aux huguenots. Cependant, à partir de 1660, Louis XIV applique une politique ferme de conversion des huguenots au catholicisme. Au fil des mois et des années, cette politique se fera de plus en plus pressante. Aussi, l’émigration est-elle fortement encouragée, notamment via le recrutement de soldats pour service outre-mer. C’est sans doute dans ce contexte que Siméon s’est engagé comme soldat. L’édit de Nantes a définitivement été révoqué en 1685.
2- les guerres avec les Iroquois
D’autre part, le commerce des fourrures a toujours été une entreprise fort lucrative autant pour la couronne de France, que pour ses représentants en Nouvelle-France. Par contre, les Anglais et surtout les Hollandais installés le long de la rivière Hudson, dans le futur état de New York, sont également fortement intéressés par le profitable commerce de la fourrure. Les Iroquois s’interposent en intermédiaires entre les tribus de l’intérieur du continent et les Européens. Ils approvisionnent en fourrures les Hollandais déjà établis à Fort Orange (Albany aujourd'hui) lesquels troquent des armes à feu pour des peaux de castor. La situation se détériore au point où les Iroquois entrent en guerre ouverte contre les Français. Louis XIV réagit en 1665 en envoyant le régiment Carignan-Salières en Nouvelle-France pour pacifier ces indiens «en les humiliant» (Lacoursière et autres, 1969).
3- les Anglais et les Hollandais dans l’hémisphère Sud
Les Guyanes |
Selon Langlois, « ces compagnies ne faisaient pas et ne firent jamais partie du régiment de Carignan-Salières ». Toutes les compagnies du régiment Carignan-Salières partirent de France pour arriver directement en Nouvelle-France, ce qui n’a pas été le cas des quatre compagnies mentionnées au paragraphe précédent.
De la France à la Nouvelle-France, en passant par…
…La Rochelle en 1664 - un départ impressionnant
C’est donc à l’âge de 27 ans que l’on retrouve trace de Siméon. Au début de 1664, Siméon se trouve à La Rochelle, l’ancien château fort des huguenots où plus de 20 000 d’entre eux ont trouvé la mort lors du siège de 1627 entrepris par le cardinal Richelieu.
Siméon s’apprête à entreprendre un long périple qui le conduira loin, très loin de son pays natal.
Le port de La Rochelle |
Le 26 février 1664, un vaisseau de guerre, un magnifique trois mats de 800 tonnes, tout neuf, armé de 60 canons et commandé par Monsieur Alexandre de Prouville, « marquis de Tracy conseiller du roi et commandant en chef des troupes de la Nouvelle-France », appareille du port de La Rochelle. À bord, quatre compagnies de soldats dont celle du Sieur de Berthier. Le soldat Siméon Leroy dit le Haudy fait donc partie de l’expédition. Ce vaisseau, c’était le Brézé (Le Chaînon, 2005).
Le Brézé est accompagné du Teron, un autre vaisseau de guerre, plus petit cependant, et de plusieurs autres vaisseaux bien équipés de provisions et de munitions (Migrations, 2006).
«…La plainte dudit Forget du sixiesme du present mois, les depositions de Simeon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier, Michel Risfault habitant de la petite Auvergne, Pierre Guillebault dit Le Saint Pierre…»
Annexe 2 - Les compagnies venues avec le Sieur de Tracy1
Du Régiment de L’Allier (Compagnie cantonnée à Québec)
Capitaine : Berthier, Alexandre
Lieutenant : Lebassier de Vilieu, Claude-Sébastien
Margane de Lavaltrie, Séraphin
Enseigne : Lauxain, Pierre de Caviteau
Taboureau de Vérone, Prudent-Akexandre
Lafons (de), Rolland
Bazain, François dit Laroche
Edmé, Moyse sieur Desprises
Blanchon, Étienne
Bellisle = Fournel, Jacques
Champagne
Haudry Hardy = Leroy Simon dit Le Hardy
Jolicoeur
Lafleur = Pleau, Simon
Lagacé = Mignier, André
Lafontaine
Lamontagne = Martel, Honoré
Lapensée = Brin, Jacques
Laprairie = Rousselot, Nicolas
Larose = Arnaud, Antoine
Lavaux
Laverdure
Laviolette = Bétourné, Adrien
Lecatalan
Lejeune La Violette
Petitbois = Gauron, Michel
Sanssoucy = Bureau,Louis
1- selon le document de Michel Langlois (2004).
Documents cités :
Dictionnaire Biographique du Canada en ligne.
Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html
Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La Maison des Ancêtres inc., Drummondville. pp 515 et sq.
Lacoursière, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, 1969. Canada - Québec - Synthèse historique. Éditions du Renouveau Pédagogique Inc.
Le Chaînon, 2005. Société Franco-Ontarienne d’histoire et de généalogie. Vol. 23 No 2.
Migrations, 2006. Voir : http://www.migrations.fr/
voir aussi :
Roy, Régis et Gérard Malchelosse, 1925. Le régiment de Carignan, son organisation et son expédition au Canada. Officiers et soldats qui s’établirent en Canada, 1665-1668. Montréal.
Sulte, Benjamin, 1922. Le régiment de Carignan. Mélanges historiques. Volume 8. Études éparses et inédites de Benjamin Sulte, compilées, annotées et publiées par Gérard Malchelosse, publié chez G. Ducharme, Montréal.