lundi 28 novembre 2011

Séjour en Nouvelle-France...

Siméon est enfin arrivé en Nouvelle-France…

Afin de bien comprendre la suite des aventures de Siméon, il est important de brosser un bref portrait de la situation en Nouvelle-France en 1665.

Dans le but d’alléger le texte, les documents sources n’y sont identifiés que par la première lettre du nom de l’auteur, alors que la référence complète est donnée à la fin de la chronique.


la Nouvelle-France et le commerce des fourrures…

À cette époque, la Nouvellle-France était une colonie de la France et la raison d’être principale d’une colonie était d’approvisionner en biens la capitale, en l’occurrence la France,. De plus, la colonie se devait également d’être une source de profits, notamment par la pêche mais surtout par les fourrures. Qui dit fourrure, dit bien sûr le castor.

En fait, l’existence même de la Nouvelle-France était donc motivée en grande partie par le commerce de la fourrure.

Toutes les fourrures devaient cependant transiter par Québec avant de se retrouver sur les marchés d’Europe. Dès 1603, Champlain avait conclu une alliance avec les Etchemins, les Algonquins et les Montagnais lesquels sont en guerre continue avec les Iroquois (M). Cette alliance ouvrit donc toutes grandes les portes de la région des Grands Lacs, de la vallée du Saint-Laurent et de celle de la rivière des Outaouais comme source d’approvisionnement en fourrures.

Par la suite, en juillet 1609, Champlain a renforci cette alliance à laquelle s’étaient depuis joints les Hurons, en remontant la rivière des Iroquois (l’actuelle rivière  Richelieu) et en attaquant une bande de 200 Iroquois à l’extrémité Sud du lac Champlain. « Les deux armées se font face : d’un côté environ 200 Iroquois dirigés par trois de leurs chefs, de l’autre la soixantaine d’alliés parmi lesquels se dissimule Champlain. Après quelques minutes de combat, les rangs alliés s’entr’ouvrent, Champlain tire de l’arquebuse. Plus tard, les deux autres Français cachés dans les bois l’imitent. La victoire est acquise » (L1). (Illustration de Champlain)

Un détail important à retenir, détail qui aura une grande importance plus tard : en septembre de la même année, Henri Hudson, dont l’expédition était financée par les marchands hollandais, explore la rivière à laquelle il a d’ailleurs donné son nom. Une importante voie de communication est donc reconnue par les Français et les Hollandais et les Anglais : l’axe Hudson-Richelieu.

Cette expansion du commerce de la fourrure au profit des Français avait en fait écarté les Iroquois des profits de la traite. Ceux-ci réagirent en se liguant avec les trafiquants hollandais installés à Fort Orange (aujourd’hui Albany dans l’État de New York).

« Les Iroquois usèrent rapidement de représailles. À la fin des années 1640, après avoir en fait fermé à toute communication les cours d'eau qui permettaient aux trafiquants français de transiger avec leurs alliés amérindiens de l'Ouest (pays d'en haut), ils réussirent à supprimer les Hurons. Puis, dans une véritable vague de terreur qui dura jusqu'au milieu des années 1660, les Iroquois dirigèrent leur fureur contre les Français, pour tenter de les arracher à leurs établissements le long du Saint-Laurent » (P).

Ce régime de terreur, a fait en sorte que de nombreux « colons » envisagèrent tout simplement de retourner en France, ce que plusieurs firent d’ailleurs. Il fut même question d’un abandon complet de la colonie. C’est devant cette éventualité que Colbert, le ministre de la Marine de qui dépendait la Nouvelle-France, a décidé de former un régiment (Carignan-Salières) dont le rôle est « d’amener ces Indiens à la paix en les humiliant » (L1).


la ville de Québec en 1665…

Fouilles au Fort Saint-Louis 2008
L’arrivée des 20 compagnies du régiment Carignan-Salière, dont le nombre de soldats est évalué à entre 1 050 et 1100 (L2) auxquels il faut ajouter entre 150 et 200 des quatre compagnies du Sieur de Tracy ont fait de Québec une ville fortement surpeuplée. En effet, selon les données du recensement de 1667, la ville de Québec et de ses environs (Île d’Orléans, la Côte de Beaupré, la Côte du Sud(Lauzon)) comptait 2 585 personnes (C). En 1665, on en comptait sûrement un peu moins. Disons que la présence de tous ces militaires ne passait pas tout à fait inaperçue. Ainsi, au cours du mois d’août 1665, Tracy a émis une ordonnance aux habitants afin qu’ils fournissent aux soldats qui seront en garnison 800 cordes de bois (L2).


les préparatifs…

Mon hypothèse de travail demeure toujours la même à savoir que la mention de la présence en un endroit donné de l’officier commandant une compagnie sous-entend également la présence de la dite compagnie au même endroit et au même moment.

Au cours de l’automne 1665, Tracy s’occupe aussitôt de la répression des Iroquois en fortifiant  les points stratégiques le long de la rivière des Iroquois entre son embouchure et le lac Champlain, à savoir, les forts Saurel, Saint-Louis de Chambly, Sainte-Thérèse et Saint-Jean (L1).

Voir annexe 2 pour transcription
En octobre 1665, le Sieur Berthier se trouve toujours à Québec, donc Siméon s’y trouve aussi. En effet, c’est  le 8 de ce mois qu’il a abandonné « l’hérésie de Calvin » de façon solennelle devant l’évêque de Pétrée (Mgr Laval) (voir annexe 1). Le Sieur de Berthier était huguenot et Mgr Laval a toujours été vigoureusement opposé à la venue et à la présence de huguenots en Nouvelle-France. Le Sieur de Berthier ira même jusqu’à changer son prénom, de Isaac, un prénom typique huguenot, à Alexandre. Les huguenots avaient l’habitude de préférer des prénoms dits bibliques.

En conséquence, il est donc tout à fait logique de croire que Siméon se soit retrouvé en garnison à Québec, au Fort Saint-Louis, tel que le mentionne d’ailleurs Langlois (2004).

Nonobstant la construction au cours de l’automne 1665 de quelques forts le long de la rivière Richelieu, deux expéditions punitives sont organisées contre les tribus iroquoises  dans  la région de la  rivière Hudson, dans ce qui deviendra éventuellement l’État de New York.


 la seconde expédition

C’est en janvier 1666, en plein hiver, que la première de ces expéditions se met en branle sous les ordres de Courcelle et finit par rebrousser chemin près de Shenectady, un établissement hollandais situé dans l’actuel État de New York, (L1). Mal organisée et sans l’assistance promise des Algonquins pour les guider, l’expédition a failli tourner à la catastrophe. Quoiqu’il en soit, à la fin de mars, « la plus part des foldats qu'on croyait perdus reuiennent tous les iours.» (J).

Au début du mois de mai 1666, la compagnie du Sieur Berthier, et donc Siméon, est toujours à Québec, puisque le gouverneur Courcelle et le Sieur Alexandre Berthier sont  tous deux confirmés à l’église Notre-Dame de Québec.

Une seconde expédition, sous les commandements de Tracy et de Courcelle quitte Québec, le 14 septembre 1666, en direction des peuplements iroquois localisés le long de la rivière Hudson et vise plus particulièrement les Agniers.

Siméon fait définitivement parti de l’expédition puisque « le capitaine Berthier est ensuite chargé de diriger, avec Pierre de Saurel, l’arrière-garde des troupes durant l’expédition de Prouville de Tracy contre les Agniers à l’automne de 1666 » (D2).


Cette expédition se déroule sans grande résistance puisque au fur et à mesure de son avancée, les Agniers « impressionnés par la puissance de ces troupes venues du nord » ont pris la fuite à travers les bois (D1 et L1).

Le 16 octobre 1666, le corps expéditionnaire arrive à une cinquième bourgade, la plus considérable de toutes. Devendorf (D1), mentionne qu’il s’agit d’Andaraque (Andavagué, selon S), située près de l’actuel Fort Hunter dans le comté d’Albany, New York. Tracy, selon la coutume, fait chanter un « Te Deum », prend possession du territoire et retourne à Québec (L1).

Le 5 novembre 1666, la troupe est de retour à Québec.

La compagnie du Sieur Berthier (et Siméon bien sûr) s’est donc rendue au cours de l’automne 1666 dans la région d’Albany dans l’État de New York.

La paix avec les Iroquois est conclue en 1667 et, peu après, les soldats s’en retournent en France alors que ceux qui ont décidé de rester en Nouvelle-France sont démobilisés.

Le bilan de la présence du régiment de Carignan-Salières se résume finalement à bien peu : deux expéditions punitives à toutes fins utiles ratées et la construction de quelques forts le long du Saint-Laurent, de la rivière des Iroquois et du lac Champlain.


Conclusion

Siméom a été baptisé à Créances en Basse-Normandie le 1er octobre 1637.

À l’âge de 27 ans, il s’embarque comme soldat pour une expédition militaire. Il s’est alors rendu en Guyane française, dans les Antilles française, à la Martinique, en Guadeloupe, à la Grenade et à Saint-Domingue.

Siméon arrive finalement à Québec le 30 juin 1665 où il fait partie pendant quelques mois de la garnison du Fort Saint-Louis.

En septembre 1666, Siméon participe à une expédition punitive contre les Iroquois. Il se rend alors dans la région de Fort Orange (Albany), dans ce qui  deviendra l’État de New York.

Siméon a pu alors se familiariser avec la route pour se rendre dans cette région, ainsi qu’avec les conditions qui prévalaient le long du parcours, la localisation des portages, et surtout, le temps requis pour effectuer ce voyage.

Siméon a ainsi pris connaissance de la localisation exacte des forts sis le long de la rivière des Iroquois et du lac Champlain.

Les connaissances acquises au cours de cette expédition seront d’une grande importance ultérieurement.


Annexe 1 – Abjuration du Sieur de Berthier

L’An de grace mil six cent soixante et cinq le huictiesme
d’octobre Isaac Berthier Capitaine au Regiment
de L’Allier, de la paroisse de Bergerac en Perigord Diocese
de Perigueux a fait abjuration solemnelle de l’heresie
de Calvin dans L’Eglise Paroissiale de Notre-Dame de
 Quebecq entre les mains de Messire François de Laval
Evesque de Petrée, vicaire Apostolique en la Nouvelle France
et nommé par le Roy premier evesque du dit Pays,
En presence de Monseigr de Tracy gnal des armées
du Roy en toute l’Amerique de Monsr de Courcelles
gouverneur pour le Roy en ce pays et de Monsr Talon
Intendent pour sa Majesté au dit Pays.
francois evesque de petrée
Source : Fonds Drouin - registre des abjurations



Annexe 2 – Le registre des confirmations de N-D de Québec le 1er mai 1666

Confirmés à           MessireDaniel de Remy Seignr deCourcelles gouverneur
La Paroisse de             de ce pays;
Ntre Dame de       Alexandre Berthier, de Bergerac, dioc. de Perigueux
 Quebec le 1r
de May 1666
Source: Fonds Drouin – registre des confirmations


Références

(C) Charbonneau, H. et J. Légaré, 1967. La population du Canda aux recensement de 1666 et 1667. Population-Revue Bimestrielle de l’Institut National d’Études Démographiques. Disponible sur Internet à : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1967_num_22_6_11236
(D1) Devendorf, John C. 1974. Battles of New York - Battles and raids in the province and state of New York, 1609-1814. Disponible sur Internet à :
 http://threerivershms.com/Battles.htm
(D2) Dictionnaire Biographique du Canada en ligne, 2008. Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html. 
(J) Journal des Jésuites, 1871. Publié d’après le manuscrit original conservé aux archives du Séminaire de Québec par MM les abbés Laverdière et Casgrain. Disponible sur le site Internet à : http://books.google.fr.
(L1) Lacoursière, Jacques, J. Provencher et D. Vaugeois. 1969. Canada-Québec-Synthèse historique. Éditions du Renouveau Pédagogique.
(L2) Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La maison des ancêtres Inc., Drummondville.
(P) Pothier, Bernard. Défense de la Nouvelle-France : La petite guerre (1660-1760) voir :
http://www.seminaire-sherbrooke.qc.ca/hist/hist4/Enrichi/defense.htm
(S) Sulte, Benjamin, 1922. Le régiment de Carignan. Mélanges historiques. Volume 8. Études éparses et inédites de Benjamin Sulte, compilées, annotées et publiées par Gérard Malchelosse. G. Ducharme, Montréal.



jeudi 10 novembre 2011

De la France à la Nouvelle-France... (troisième partie)

La Rochelle en 1664 - une mission dans de lointaines contrées

Le Marquis de Tracy
C’est donc le 26 février 1664 que le Brézé quitte La Rochelle sous un ordre de mission du roi Louis XIV, mission confiée à Monsieur Alexandre de Prouville,  Marquis de Tracy. Le roi « luy fit expedier vne Commission, des plus amples et des plus honorables  qu’on ait encore veû (vue), luy donna quatre Compagnies d’Infanterie (dont celle du Sieur de Berthier) voulut que ses gardes portassent les mesmes couleurs que ceux de sa Majesté; luy fit equiper les navires, nommez le Brésé et le Teron… avec plusieurs autres vaisseaux, chargez de vivres et munitions de guerre,… et de tout ce qui estoit necessaire pour vne expedition de cette importance ».  Au départ de La Rochelle, le Brézé « estant (était) suivi, outre les troupes, de quantité de Noblesse, et de vaisseaux bien equipez. » (Relation des Jésuites, 1664).

Quelques flûtes à l'ancre
Outre le Brézé, l’escadre comprend les vaisseaux suivants : le Teron, l’Aigle d’Or, le Saint Sébastien, le Sainte-Anne, les flûtes Justice, La Paix et le Jardin de Hollande. (Une flûte est un trois mâts à voiles carrées optimisé pour le transport de marchandise). À bord de ces vaisseaux, se trouvent environ 650 personnes,  parmi eux les « 150 officiers et soldats » composant les quatre compagnies, dont celle à laquelle appartient Siméon, « 50 valets, 150 artisans de tous métiers, et le reste travailleurs à la terre et gens de toutes manières » (Jal, Auguste, 1873).

On a donc affaire d’abord à une expédition militaire d’envergure et bien pourvue, naviguant sous le pavillon du roi de France et sous les ordres du Marquis de Tracy, « lieutenant général dans toute l’étendue des terres de notre obéissance situées en l’Amérique Méridionale et Septentrionale, de terre ferme, et des isles, rivières [etc.] » (Dictionnaire biographique du Canada). Il est également évident que l’un des objectifs poursuivis était de renforcer la présence française dans ses possessions des Antilles.

Le Brézé était sous le commandement de Job Forant, un huguenot originaire de l’île de Ré tout près de La Rochelle.


Après le départ de La Rochelle, l’expédition fera un arrêt à l’île Madère, le 20 mars, puis au Cap Vert pour y faire provision d’eau et de nourriture fraîche avant de se lancer dans la traversée de l’Atlantique. En effet, on mentionne aussi dans les Relations des Jésuites de l’année 1664 que le Marquis de Tracy « fut complimenté par les Portuguais de Madere et du Cap Verd, avec tout l’honneur qui estoit deû à sa qualité et à son mérite ». La réaction des Portugais traduit très bien la perception qu’ils ont de l’importance autant de la mission que du personnage et du fait qu’il est le représentant du roi Louis XIV.

La traversée de l’Atlantique se fit rapidement car c’est le 16 mai que les troupes françaises enlèvent Cayenne aux Hollandais. Joseph-Antoine Le Febvre de la Barre, aussi à bord du Brézé y occupa alors le poste de gouverneur et de lieutenant général de la Guyane. Il y dressa notamment les plans des fortifications de Cayenne. En 1682, il deviendra gouverneur général de la Nouvelle-France.



Par la suite, le Marquis de Tracy s’occupe de renforcer la présence française dans les Antilles. Pour se faire, il installe des gouverneurs dans les îles importantes : la Martinique (le 2 juin 1664), la Tortue, la Guadeloupe, La Grenade et l’île Marie-Galante.

Le 25 avril 1665, après un arrêt à Saint Domingue (dans la République Dominicaine d’aujourd’hui), la flotte quitte la Guadeloupe, passe par le détroit des Caïques (les îles Turquoises), longe le détroit des Bahamas de même que les côtes de la Floride, côtoie la Virginie pour finalement entrer dans le golfe du Saint-Laurent et mouiller à l’île Percée un mois plus tard, tel que le souligne les Relations des Jésuites. On en profite pour y refaire les provisions et se diriger vers Tadoussac.

Québec, un port fort achalandé…

En effet, dès le 18 juin 1665, on voit apparaître au port de Québec un premier vaisseau, le Cat, avec à son bord une soixantaine d’engagés qui viennent s’établir en Nouvelle-France.

Le port de Québec
Le lendemain, c’est le Vieux Siméon, parti de La Rochelle le 19 avril, qui accoste au port. Il amène en Nouvelle-France les quatre premières compagnies du régiment Carignan-Salières, venues combattre les Iroquois, à savoir les compagnies Chambly, Froment, La Tour et Petit (Langlois, 2004).

Quant au Brézé, il est possible que le capitaine n’ait pas voulu prendre le risque de remonter le Saint-Laurent avec cet immense vaisseau. Passagers, armes et bagages ont été transbordés à bord du Vieux Siméon et du Cat, venus expressément de Québec.

Le soldat Siméon a donc finalement débarqué à Québec, le 30 juin 1665, avec ses camarades de la compagnie du Sieur Berthier et des trois autres compagnies qui voyageaient à bord du Brézé : La Durantaye, Monteil et Labrisardière, toutes les quatre sous le commandement du Marquis de Tracy.

L’accueil de la troupe à Québec…

Au débarquement au port de Québec, le Marquis de Tracy est « si faible & si abbattu de la fievre, qu’il ne pouvait estre soustenu que par son courage » (Relations des Jésuites, 1664).

Québec est en liesse ; la ville a préparé une magnifique réception, mais, malade, le lieutenant général n’est pas en mesure de participer à toutes les fêtes. « Précédé de ses 24 gardes, vêtus aux couleurs de Sa Majesté, et de 4 pages, accompagné de son aide de camp, suivi de 6 laquais et de plusieurs officiers en habits somptueux, le représentant du roi se rend du port à l’église au milieu des acclamations de la foule. Les cloches battent à toute volée. Mgr de Laval reçoit le sauveur de la colonie à l’entrée de la nef, escorté de son clergé ; il lui offre l’eau bénite et le conduit à son prie-Dieu, mais le général préfère s’agenouiller sur le parquet comme tout le monde. La cérémonie se termine par le Te Deum » (Dictionnaire biographique du Canada).

L’ex-voto du Marquis de Tracy…

L'ex-voto de N-D-desVictoires
On retrouve dans la nef de l’église Notre-Dame-des-Victoires une réplique du Brézé. D’abord offert à la cathédrale Notre-Dame de Québec par le Marquis de Tracy cet ex-voto y est resté jusqu’au bombardement de 1759. Retrouvé au Séminaire de Québec, il a été restauré en 1954 et est suspendu à la voûte de l’église Notre-Dame-des-Victoires depuis 1955. Je doute qu’il s’agisse d’une réplique du Brézé. En effet, toutes les sources consultées mentionnent que le Brézé était armé de 60 canons alors que l’on ne compte que 16 sabords d’un côté de l’ex-voto pour un total de 32 canons. D’autre part, comme le disait mon professeur d’histoire, les historiens ont l’habitude de se citer les uns et les autres, perpétuant ainsi les erreurs. Ainsi, l’affiche à l’entrée de la chapelle Notre-Dame-des-Victoires mentionne que le Brézé a transporté les troupes du régiment Carignan-Salières, plutôt que les quatre compagnies mentionnées précédemment. Il en est ainsi, entre autres, de la Société Historique de Québec sur son site Facebook.

Du 18 août au 14 septembre, ce sont les seize autres compagnies du régiment Carignan-Salières qui débarqueront à Québec (Langlois, 2004).

On compte donc alors un total de 24 compagnies, soit, les quatre compagnies du Marquis de Tracy, arrivées à bord du Brézé et les 20 compagnies faisant partie du régiment Carignan-Salières.

En conclusion…

En 16 mois, Siméon, l’un des soldats de la compagnie du Sieur Berthier, a parcouru plusieurs milliers de kilomètres avant d’arriver en Nouvelle-France. Parti de La Rochelle le 26 février 1664 à bord du Brézé, Siméon voyage d’abord vers Madère, de là au Cap Vert, puis à Cayenne en Guyane française, à la  Martinique, à l’île de La Tortue au large de l’actuelle Haïti, à Saint Domingue, à la Guadeloupe, à la Grenade, et enfin à l’île Marie-Galante. Avant d’arriver à Québec en juin 1665, le Brézé passe par le détroit des Caïques (les îles Turquoises), longe le détroit des Bahamas de même que les côtes de la Floride, côtoie la Virginie avant d’entrer finalement dans l’estuaire du Saint-Laurent. Toute une odyssée!

Documents cités :

Dictionnaire Biographique du Canada en ligne.
Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html

Jal, Auguste, 1873. Abraham Du Quesne et la marine de son temps. Éditeur : Henri Plon, Paris. Pages 329 et sq. Disponible sur books.google.ca.

Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La Maison des Ancêtres inc., Drummondville.

Relation des Jésuites, 1664. Voir http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/numtxt/relations.htm

lundi 31 octobre 2011

De la France à la Nouvelle-France... (deuxième partie)

Préambule

Comme on le verra dans cette chronique et dans les autres qui suivront, j’ai pu retracer tout le périple de Siméon dès que j’ai réussi à trouver un document dans lequel est précisé le métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France. Ce document a donc été un véritable fil d’Ariane.

Le second métier de Siméon

C’est lors de la lecture de jugements de la prévôté de Québec (selon Wikipedia, la prévôté était le premier degré de la justice royale) que l’on peut trouver la réponse. En effet,  un document qui date du 28 janvier 1668, nous précise  explicitement  la métier de Siméon lors de son arrivée en Nouvelle-France.

Voir annexe 1 pour le libellé. (L'original est de qualité marginale).
 Ce dernier a été appelé à comparaître comme témoin dans un procès pour voies de fait. Le greffier, dans le procès verbal a alors identifié Siméon comme suit : « Simon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier… » . Au XVIe siècle comme maintenant d’ailleurs, « cy devant »  signifie « antérieurement, auparavant, précédemment ».

Ce document nous apprend deux choses fort importantes : 1) avant le 28 janvier 1668, Siméon était soldat, 2) il a fait partie de la compagnie du Sieur de Berthier. 

C’est à partir de ces deux faits que j’ai pu lever le voile sur les péripéties de Siméon. En effet, reconstituer les déplacements d’un simple soldat est une tâche quasi impossible. Par contre, retrouver la trace des déplacements d’un officier, en cette occurrence, le Sieur de Berthier et de sa compagnie de soldats dont Siméon faisait partie s’avère une opération quelque peu simplifiée. En d’autres mots, où se trouvent le Sieur de Berthier et sa compagnie de soldats, se trouve Siméon.

Michel Langlois, dans l’excellent ouvrage qu’il a publié en 2004, ouvrage intitulé « Carignan-Salières », tente d’identifier les soldats appartenant à ce régiment. Le statut de Siméon, comme soldat, y est explicitement mentionné (voir annexe 2), ce qui vient corroborer le contenu du procès-verbal du 28 janvier 1668.

La situation en France en 1660 - 1670 

Pour bien comprendre et apprécier le périple de Siméon, je crois opportun  d’évoquer trois des nombreux problèmes auxquels Louis XIV, le roi de France, a été confronté au cours de la période 1660 - 1670 :

1- la réforme protestante

Jean Calvin
C’est au milieu du XVIème siècle que le théologien français Jean Calvin a attaqué de front les fondements même de la religion catholique, ce qui en a fait l’un des principaux artisans de la réforme protestante en  France. Cette réforme ne s’est pas faite sans heurts. En effet, le massacre de la Saint-Barthélemy au cours duquel les catholiques ont massacré les protestants en témoigne éloquemment. Déclenché à Paris, le 24 août 1572, il s’est prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis s’est étendu à plus d'une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes.  Le nombre de morts fut estimé à 3 000 à Paris, et de 5 000 à 10 000 ailleurs en France, près de 30 000 protestants français aussi appelés huguenots furent ainsi massacrés. De nombreux huguenots, dont on évalue le nombre à plus de 200 000 ont alors fui la France pour trouver refuge notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Afrique du Sud et en ce qui sera les États-Unis.

En 1658, l’édit de Nantes met temporairement fin aux hostilités en reconnaissant la liberté de culte aux huguenots. Cependant, à partir de 1660, Louis XIV applique une politique ferme de conversion des huguenots au catholicisme. Au fil des mois et des années, cette politique se fera de plus en plus pressante. Aussi, l’émigration est-elle fortement encouragée, notamment via le recrutement de soldats pour service outre-mer. C’est sans doute dans ce contexte que Siméon s’est engagé comme soldat. L’édit de Nantes a définitivement été révoqué en 1685. 

2- les guerres avec les Iroquois

D’autre part, le commerce des fourrures a toujours été une entreprise fort lucrative autant pour la couronne de France, que pour ses représentants en Nouvelle-France. Par contre, les Anglais et surtout les Hollandais installés le long de la rivière Hudson, dans le futur état de New York, sont également fortement intéressés par le profitable commerce de la fourrure. Les Iroquois s’interposent en intermédiaires  entre les tribus de l’intérieur du continent et les Européens. Ils approvisionnent en fourrures les Hollandais déjà établis à Fort Orange (Albany aujourd'hui) lesquels troquent des armes à feu pour des peaux de castor. La situation se détériore au point où les Iroquois entrent en guerre ouverte contre les Français. Louis XIV réagit en 1665 en envoyant le régiment Carignan-Salières en Nouvelle-France pour pacifier ces indiens «en les humiliant» (Lacoursière et autres, 1969). 

3- les Anglais et les Hollandais dans l’hémisphère Sud

Les Guyanes
Finalement, le dernier problème, et non pas le moindre, auquel est confronté Louis XIV est relié à la présence des Hollandais et des Anglais dans ses colonies, situées dans ce qui deviendra l’Amérique du Sud, les uns ayant envahi la Guyane française et les autres s’appropriant les colonies françaises de la Martinique et de la Guadeloupe. Louis XIV enverra quatre compagnies de soldats pour régler la situation. Ces compagnies étaient sous le commandement du sieur de Tracy et l’une d’elles était la compagnie du Sieur de Berthier. 

Selon Langlois, « ces compagnies ne faisaient pas et ne firent jamais partie du régiment de Carignan-Salières ». Toutes les compagnies du régiment Carignan-Salières partirent de France pour arriver directement en Nouvelle-France, ce qui n’a pas été le cas des quatre compagnies mentionnées au paragraphe précédent.

De la France à la Nouvelle-France, en passant par…

…La Rochelle en 1664 - un départ impressionnant

C’est donc à l’âge de 27 ans que l’on retrouve trace de Siméon. Au début de 1664, Siméon se trouve à La Rochelle, l’ancien château fort des huguenots où plus de 20 000 d’entre eux ont trouvé la mort lors du siège de 1627 entrepris par le cardinal Richelieu.

Siméon s’apprête à entreprendre un long périple qui le conduira loin, très loin de son pays natal.

Le port de La Rochelle
Le 26 février 1664, un vaisseau de guerre, un magnifique trois mats de 800 tonnes, tout neuf, armé de 60 canons et commandé par Monsieur Alexandre de Prouville, « marquis de Tracy conseiller du roi et commandant en chef des troupes de la Nouvelle-France », appareille du port de La Rochelle. À bord, quatre compagnies de soldats dont celle du Sieur de Berthier. Le soldat Siméon Leroy dit le Haudy fait donc partie de l’expédition. Ce vaisseau, c’était le Brézé (Le Chaînon, 2005).

Le Brézé est accompagné du Teron, un autre vaisseau de guerre, plus petit cependant, et de plusieurs autres vaisseaux bien équipés de provisions et de munitions (Migrations, 2006). 

Annexe 1 - Extrait du registre de la Prévôté de Québec du 28 janvier 1668 (Source : Bibliothèque et Archives Nationale du Québec, Microfilm M48/1)

«…La plainte dudit Forget du sixiesme du present mois, les depositions de Simeon LeRoy dit Le Haudy, cy devant soldat de la Compagnie du Sieur de Berthier, Michel Risfault habitant de la petite Auvergne, Pierre Guillebault dit Le Saint Pierre…»

Annexe 2 - Les compagnies venues avec  le Sieur de Tracy1

Du Régiment de L’Allier (Compagnie cantonnée à Québec)

Capitaine :     Berthier, Alexandre
Lieutenant :    Lebassier de Vilieu, Claude-Sébastien
                           Margane de Lavaltrie, Séraphin
Enseigne :      Lauxain, Pierre de Caviteau
                          Taboureau de Vérone, Prudent-Akexandre
                          Lafons (de), Rolland

                      Bazain, François dit Laroche
                      Edmé, Moyse sieur Desprises
                      Blanchon, Étienne
                      Bellisle                                           = Fournel, Jacques
                      Champagne
                      Haudry Hardy                              = Leroy Simon dit Le Hardy
                      Jolicoeur
                      Lafleur                                          = Pleau, Simon
                      Lagacé                                          = Mignier, André
                      Lafontaine
                      Lamontagne                                  = Martel, Honoré
                      Lapensée                                       = Brin, Jacques
                      Laprairie                                       = Rousselot, Nicolas
                      Larose                                            =  Arnaud, Antoine
                      Lavaux
                      Laverdure
                      Laviolette                                      = Bétourné, Adrien
                      Lecatalan
                      Lejeune La Violette
                      Petitbois                                        = Gauron, Michel
                      Sanssoucy                                   = Bureau,Louis

1- selon le document de Michel Langlois (2004).

Documents cités :
Dictionnaire Biographique du Canada en ligne.
Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html

Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La Maison des Ancêtres inc., Drummondville. pp 515 et sq.

Lacoursière, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, 1969. Canada - Québec - Synthèse historique. Éditions du Renouveau Pédagogique Inc.

Le Chaînon, 2005. Société Franco-Ontarienne d’histoire et de généalogie. Vol. 23 No 2.

Migrations, 2006. Voir : http://www.migrations.fr/

voir aussi :
Roy, Régis et Gérard Malchelosse, 1925. Le régiment de Carignan, son organisation et son expédition au Canada. Officiers et soldats qui s’établirent en Canada, 1665-1668. Montréal.

Sulte, Benjamin, 1922. Le régiment de Carignan. Mélanges historiques. Volume 8. Études éparses et inédites de Benjamin Sulte, compilées, annotées et publiées par Gérard Malchelosse, publié chez G. Ducharme, Montréal.

dimanche 23 octobre 2011

De la France, à la Nouvelle France… (première partie)

En ce premier jour d’octobre 1637, les cloches de l’Église Sainte-Trinité de Créances, en Normandie, ont probablement sonné pour annoncer le baptême de «symeon le roy», fils de «richard le roy», tel qu’il appert à son acte de baptême qui a été transcrit par Archange Godbout, le fondateur de la Société de Généalogie Canadienne Française de Montréal. Il est probable que l’original ait été détruit pendant la seconde guerre mondiale.

Acte de baptême de Siméon Leroy

C’est ainsi que débute l’histoire mouvementée et ponctuée de plusieurs rebondissements de mon ancêtre Siméon LeRoy-Audy.




Tout d’abord, l’origine du patronyme

Du temps des gaulois, on exploitait des salines dans la région de Créance. En ce temps, le sel valait son pesant d’or. Alors, on recueillait l’eau de mer et on la faisait bouillir pour en tirer le sel qu’elle contenait. Cette façon de faire exigeait des quantités prodigieuses de bois. Arriva ce qui devait arriver, cette ressource fut épuisée et, par le fait même, on avait défriché la région. Tout naturellement, on se tourna alors vers l’agriculture et, plus particulièrement, vers la culture maraîchère qui fait d’ailleurs toujours la renommée de cette région.

Un problème cependant… En effet, la région de Créances est un «plat pays», particulièrement en bord de mer. Or, si on veut cultiver des légumes en ces terres, il faut les protéger de l’invasion par l’eau de mer, deux fois par jour lors des marées hautes, mais aussi, il faut tenir compte des hautes marées d’équinoxe, au printemps et à l’automne.

Fonctionnement d'un aboiteau
Pour ce faire, les gens de Créances ont fait comme partout dans le monde pour récupérer à des fins agricoles, des terrains en bord de mer : ils ont bâti une digue, une levée de terre et ont installé des aboiteaux, ces structures de bois qui empêchent l’eau de mer de pénétrer à l’intérieur de la digue lors des hautes marées mais qui laissent écouler les eaux de pluie et de ruissellement lors des basses marées. Dans l’ancienne langue scandinave, on désigne ces digues par diki, dy ou dics (au pluriel). Partout dans la région de Créances et pas seulement dans la région immédiate, on utilise encore ce(s) mot(s) pour désigner ces levées de terre, ces digues.

Pour construire et entretenir ces aboiteaux, il faut des menuisiers. Or, l’abbé C. Tanguay dans son «Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jour» mentionne que Siméon était menuisier.

D’autre part, comme on le verra plus loin, nous sommes en mesure de démontrer que Siméon était soldat lorsqu’il a quitté la France.

Ainsi, le site Internet Historia mentionne : « Lorsqu'un soldat entre dans l'armée française, on lui attribue un surnom ou nom de guerre, par exemple Philibert Couillaud dit Roquebrune... Ce surnom prend un caractère officiel. Il devient l’équivalent du numéro matricule. Les soldats sont reconnus par leurs noms, prénoms et noms de guerre ».

Le nom de guerre était attribué lors de l’enrôlement du soldat. Comme déjà mentionné, Siméon était originaire de Créances. Or, il existe tout près de Créances un hameau qui se nomme encore aujourd’hui Haut Dye.
Le Haut Dye de Créances est un hameau de quelques habitations situé en bord de mer et, qui plus est, la rue y conduisant s’appelle la rue Haut Dy. Le site Internet de Mapquest-France permet de localiser la rue Haut Dy à Créances.

Appelé à se choisir un nom de guerre, il est tout à fait plausible que Siméon ait simplement utilisé son lieu d’origine comme nom de guerre : Siméon Leroy de Haut Dy. D’autre part, Siméon LeRoy de Haut Dy est phonétiquement près de Siméon LeRoy dit Audy.

Au XVIIe siècle, l’orthographe des mots était fort variable. Ainsi, dans un contrat rédigé par le notaire royal Gilles Rageot, le nom de Siméon y est mentionné à six reprises et  les différentes graphies de son nom sont alors les suivantes : Simon LeRoy dit Le Haudy, LeRoy dit Audy, Simon Le Roy dit Audy, Audit et Simon Le Roy (à deux reprises).

Transcription de l’acte de baptême :

                                                      Le premier jour d’octobre mil
                                                      six cents trente sept fut baptizé
                                                      ung filz pour richard le roy
                                                      nome symeon par francois
                                                      gallens et y etaient prntz Jacques leroy
                                                      et Jean lenoir fils de marin et autres
Pour en savoir plus:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Aboiteau